II
Les recherches durèrent tout l’été ; on ne découvrit pas le criminel. Ceux qu’on soupçonna et qu’on arrêta prouvèrent facilement leur innocence, et le parquet dut renoncer à la poursuite du coupable.
Mais cet assassinat semblait avoir ému le pays entier d’une façon singulière. Il était resté aux âmes des habitants une inquiétude, une vague peur, une sensation d’effroi mystérieux, venue non seulement de l’impossibilité de découvrir aucune trace, mais aussi et surtout de cette étrange trouvaille des sabots devant la porte de la Roque, le lendemain. La certitude que le meurtrier avait assisté aux constatations, qu’il vivait encore dans le village, sans doute, hantait les esprits, les obsédait, paraissait planer sur le pays comme une incessante menace.
La futaie, d’ailleurs, était devenue un endroit redouté, évité, qu’on croyait hanté. Autrefois, les habitants venaient s’y promener chaque dimanche dans l’après-midi. Ils s’asseyaient sur la mousse au pied des grands arbres énormes, ou bien s’en allaient le long de l’eau en guettant les truites qui filaient sous les herbes. Les garçons jouaient aux boules, aux quilles, au bouchon, à la balle, en certaines places où ils avaient découvert, aplani et battu le sol ; et les filles, par rangs de quatre ou cinq, se promenaient en se tenant par le bras, piaillant de leurs voix criardes des romances qui grattaient l’oreille, dont les notes fausses troublaient l’air tranquille et agaçaient les nerfs des dents ainsi que des gouttes de vinaigre. Maintenant personne n’allait plus sous la voûte épaisse et haute, comme si on se fût attendu à y trouver toujours quelque cadavre couché.
L’automne vint, les feuilles tombèrent. Elles tombaient jour et nuit, descendaient en tournoyant, rondes et légères, le long des grands arbres ; et on commençait à voir le ciel à travers les branches. Quelquefois, quand un coup de vent passait sur les cimes, la pluie lente et continue s’épaississait brusquement, devenait une averse vaguement bruissante qui couvrait la mousse d’un épais tapis jaune, criant un peu sous les pas. Et le murmure presque insaisissable, le murmure flottant, incessant, doux et triste de cette chute, semblait une plainte, et ces feuilles, tombant toujours, semblaient des larmes, de grandes larmes versées par les grands arbres tristes qui pleuraient jour et nuit sur la fin de l’année, sur la fin des aurores tièdes et des doux crépuscules, sur la fin des brises chaudes et des clairs soleils, et aussi peut-être sur le crime qu’ils avaient vu commettre sous leur ombre, sur l’enfant violée et tuée à leur pied. Ils pleuraient dans le silence du bois désert et vide, du bois abandonné et redouté, où devait errer, seule, l’âme, la petite âme de la petite morte.
La Brindille, grossie par les orages, coulait plus vite, jaune et colère, entre ses berges sèches, entre deux haies de saules maigres et nus.
Et voilà que Renardet, tout à coup, revint se promener sous la futaie. Chaque jour, à la nuit tombante, il sortait de sa maison, descendait à pas lents son perron, et s’en allait sous les arbres d’un air songeur, les mains dans les poches. Il marchait longtemps sur la mousse humide et molle, tandis qu’une légion de corbeaux, accourue de tous les voisinages pour coucher dans les grandes cimes, se déroulait à travers l’espace, à la façon d’un immense voile de deuil flottant au vent, en poussant des clameurs violentes et sinistres.
Quelquefois, ils se posaient, criblant de taches noires les branches emmêlées sur le ciel rouge, sur le ciel sanglant des crépuscules d’automne. Puis, tout à coup, ils repartaient en croassant affreusement et en déployant de nouveau au-dessus du bois le long feston sombre de leur vol.
Ils s’abattaient enfin sur