VI -- MORGAN
Il faut que nos lecteurs nous permettent d'abandonner un instant Roland et sir John, qui, grâce à la disposition physique et morale dans laquelle nous les avons laissés, ne doivent leur inspirer aucune inquiétude, et de nous occuper sérieusement d'un personnage qui n'a fait qu'apparaître dans cette histoire et qui, cependant, doit y jouer un grand rôle.
Nous voulons parler de l'homme qui était entré masqué et armé dans la salle de la table d'hôte d'Avignon, pour rapporter à Jean Picot le group de deux cents louis qui lui avait été volé par mégarde, confondu qu'il était avec l’argent du gouvernement.
Nous avons vu que l'audacieux bandit, qui s'était donné à lui-même le nom de Morgan, était arrivé à Avignon, masqué, à cheval et en plein jour. Il avait, pour entrer dans l'hôtel du Palais-Égalité, laissé son cheval à la porte, et, comme si ce cheval eût joui dans la ville pontificale et royaliste de la même impunité que son maître, il l’avait retrouvé au tournebride, l'avait détaché, avait sauté dessus, était sorti par la porte d'Oulle, avait longé les murailles au grand galop et avait disparu sur la route de Lyon.
Seulement, à un quart de lieue d'Avignon, il avait ramené son manteau autour de lui pour dérober aux passants la vue de ses armes, et, ôtant son masque, il l'avait glissé dans une de ses fontes.
Ceux qu'il avait laissés à Avignon si fort intrigués de ce que pouvait être ce terrible Morgan, la terreur du Midi, eussent pu alors, s'ils se fussent trouvés sur la route d'Avignon à Bédarrides, s'assurer par leurs propres yeux si l'aspect du bandit était aussi terrible que l'était sa renommée.
Nous n'hésitons point à dire que les traits qui se fussent alors offerts à leurs regards leur auraient paru si peu en harmonie avec l'idée que leur imagination prévenue s'en était faite, que leur étonnement eût été extrême.
En effet, le masque, enlevé par une main d'une blancheur et d'une délicatesse parfaites, venait de laisser à découvert le visage d'un jeune homme de vingt-quatre à vingt-cinq ans à peine, visage qui, par la régularité des traits et la douceur de la physionomie, eût pu le disputer à un visage de femme.
Un seul détail donnait à cette physionomie ou plutôt devait lui donner, dans certains moments, un caractère de fer