L’amour de Jean-Jacques Rousseau pour la botanique
Lettres élémentaires sur la botanique
Jean-Jacques Rousseau naquit à Genève en 1712. Sa mère mourut neuf jours seulement après sa naissance. Il passa les premières années de son enfance à Genève auprès de son père, un horloger. Avec lui, il lut à cinq ans déjà des biographies de Grecs et de Romains tels qu’Alexandre le Grand ou Jules César, souvent des nuits durant, jusqu’à ce qu’ils entendent les oiseaux gazouiller au lever du jour.
Lorsque Rousseau écrivit lesLettres élémentaires sur la botanique, il avait 59 ans. Ces lettres furent adressées à Madeleine-Catherine Delessert. Elle avait demandé à Rousseau de rédiger une introduction sur l’étude des plantes pour sa fille Marguerite-Madeleine, appelée également Madelon. Ces lettres furent découvertes en 1778 peu après la mort de Rousseau dans un tiroir de son secrétaire à Ermenonville, au nord de Paris. Elles se trouvaient à côté d’un livre du Tasse et d’un autre du Grec Plutarque consacré à la vie des hommes illustres, qui était le livre préféré de Rousseau. Depuis l’enfance, il ne s’en serait jamais séparé.
Aujourd’hui, les huit lettres élémentaires sur la botanique sont conservées au Musée Jean-Jacques Rousseau à Montmorency près de Paris. Elles ont été légèrement abrégées pour la présente publication. Certaines notions de botanique employées par Rousseau sont devenues désuètes. Elles sont inscrites encouleur et expliquées dans l’annexe, tout comme les noms des plantes qui n’appartiennent plus aux mêmes genres et aux mêmes familles et les éléments qui méritent une explication.
La pervenche
Enfant déjà, Rousseau aimait la nature. Lapervenche, ou violette des sorciers, est entrée grâce à lui dans l’histoire de la littérature. Dans son livre autobiographiqueLes Confessions, Rousseau raconte commentMadame de Warens l’a rendu attentif à cette petite fleur insignifiante : « Voilà de la pervenche encore en fleur ! », se serait-elle exclamée devant le jeune homme alors âgé de seize ans. Ils étaient tous deux en route pourLes Charmettes dans le but d’y passer la nuit. Vingt ans plus tard, Rousseau rencontra une nouvelle fois la petite plante lors d’une promenade de botanique aux alentours de Neuchâtel. Il y avait fui en 1762 car ses œuvresDu Contrat social etEmile, ou de l’éducation avaient été interdites à cause des idées révolutionnaires sur l’instruction et la religion qu’elles véhiculaient. A Paris et bientôt à Genève également, ces livres furent brûlés en public. Un mandat d’arrêt fut émis contre Rousseau, qui séjournait près de la capitale française. Il chercha alors protection en Suisse et trouva refuge chez un ami à Yverdon (une ville bernoise à cette époque). Lorsque le message lui parvint qu’il n’était pas le bienvenu sur le territoire bernois, il quitta ce premier refuge. Après une nuit d’errance, il arriva tôt le matin à Môtiers le 10 juillet 1762. Le village situé sur les terres neuchâteloises était sous la domination du roi de Prusse Frédéric le Grand.
« Sire, j’ai dit beaucoup de mal de vous »
Le jour même de son arrivée, Rousseau rédigea une lettre pour le roi, qui était considéré comme l’ami du poète et du penseur. Il lui demandait sa protection : « Sire, j’ai dit beaucoup de mal de vous; j’en dirai peut-être encore. Cependant, chassé de France, de Genève, du canton de Berne, je viens chercher un asile dans vos Etats. »
Frédéric accorda l’asile au suppliant et lui fit savoir par l’intermédiaire du gouverneur de Neuchâtel : « Si nous n’avions pas laguerre, si nous n’étions pas ruinés, je lui ferais bâtir un ermitage avec un jardin. » Le roi lui promit tout de même une petite pension mensuelle que Rousseau refusa cependant. Il lui demanda plutôt : « Otez de devant mes yeux cette épée qui m’éblouit et qui me blesse. »
A Môtiers, Rousseau habita avec son intendante Thérèse Levasseur et son chien les trois pièces d’une maison de campagne. Ce logement fut mis à leur disposition par Madame Julie Boy de la Tour, une Lyonnaise femme de banquier et propriétaire du domaine. Sa fille âgée alors de 15 ans s’appelait Madeleine-Catherine, la destinataire desLettres élémentaires sur la botanique de Rousseau.
En exil, Rousseau commença à s’habiller d’une manière telle qu’il faisait sensation autour de lui. Il revêtit le costume arménien, une robe recouverte d’un manteau, un caftan, une toque de fourrure et une ceinture. Il fit confectionner ce vêtement – en donnant des indications précises pour le choix des matériaux et des couleurs – par un tailleur arménien qui s’était établi dans la région. Malgré quelques hésitations, Rousseau porta la robe même pour aller à l’église le dimanche.
Rousseau dans le Val-de-Travers
Quand Rousseau arriva à Môtiers, il était déjà un homme célèbre. Son roman épistolaire paru en 1761La Nouvelle Héloïse est l’ouvrage le plus connu et le plus important du XVIIIe siècle. La région de Vevey, où se joue l’intrigue amoureuse, devint bientôt la destination des lectrices et des lecteurs passionnés venant de toute l’Europe.
Rousseau reçut également de la visite à Môtiers. La Suisse hébergeait à l’époque des naturalistes de premier ordre. Un groupe de botanistes comptant parmi les plus grands experts de la région partit en excursion avec Rousseau : Jean-Antoine d’Ivernois de Môtiers, collectionneur d’herbes médicinales et connaisseur des plantes du Jura neuchâtelois, Abraham Gagnebin de La Ferrière dans le Jura bernois, médecin et érudit, et Pierre-Alexandre Du Peyrou de Neuchâtel, le mécène de Rousseau qui deviendra plus tard le conservateur de son œuvre. Ils parcoururent ensemble le Val-de-Travers, le Chasseron ou le Creux du Van en botanisant. Sur une hauteur près de Cressier, Rousseau se serait souvenu du temps passé aux Charmettes : « Ah ! Voilà de la pervenche ! »
Dans ce cercle, Rousseau fut initié à la science de la botanique. Mais de nombreux aspects lui semblaient trop compliqués; il trouvait que les noms des plantes étaient inutilisables.
Abraham Gagnebin se baladait déjà dans cette région à la flore très riche en 1739 aux côtés d’Albrecht von Haller. Rousseau admirait le travail de Haller, même si ce dernier le rejetait. De sa propre main, il copia plus tard l’un de seslivres sur les plantes. Rousseau nomma d’après Haller une ombelle qu’il ne connaissait qu’à partir des descriptions du naturaliste. Il l’appelaseseli Halleri.
Le Systema naturaede Carl von Linné
A Môtiers, Rousseau lut également les œuvres des célèbres botanistes de France et d’Angleterre. Il appréciait avant tout les travaux des Suisses et ceux du professeur d’université bâlois Caspar Bauhin et de son frère Johannes. Ce dernier partit à la découverte de la botanique dans les Alpes avec le naturaliste Conrad Gesner de Zurich et d’autres pairs. Gesner publia des comptes rendus de ses excursions de botanique sur le Pilate, le Stockhorn, le Calanda ou le Niesen. Pour Rousseau, ces écrits signalaient l’apparition d’une «véritable botanique ». Il s’enthousiasmait pour le naturaliste suédois Carl von Linné. Ce fut avec passion qu’il lut sonSystema naturae, « pour lequel je pris une passion dont je n’ai pu bien me guérir, même après en avoir senti le vide ».
Des tentatives avaient été faites auparavant pour ordonner les plantes dans un système de classement et leur attribuer des noms logiques. La grande idée de Linné fut de répartir les plantes à fleurs selon leurs organes sexuels comme le...